Algérie News : Votre parcours est fait de traversées
de diverses cultures, arabo-berbère,
française, italienne, hispano-américaine.
Comment vivez-vous cette multiculturalité ?
Rénia : Petite fille d’immigrés kabyles, j’ai
eu la chance de grandir au milieu de ces cultures
dans un pays qui n’a toujours pas saisi
qu’elles étaient source de richesse. Je me considère
comme une femme de la Méditerranée et
je le revendique. Ma vie a démarré sur un
drame : l’assassinat de mon père, membre du
MNA, par le FLN. La tragédie était terrible
pour l’enfant que j’étais mais j’ai très vite pris
conscience que ces immigrés portaient aussi la
douleur de l’exil, de leur guerre et que nous
pouvions en faire notre force en partageant et
en s’imprégnant, les uns des autres, de nos
racines et nos histoires. Les choses n’ont pas
toujours été faciles mais je crois avoir dépassé
le stade du : « qui suis-je ? D’où je viens ?
Où vais-je ? » depuis bien longtemps. Je suis
un être imprégné de ces richesses qui me permettent
de voir l’autre sans préjugés.
Pouvez-vous nous parler de vos créations ?
J’écris quand l’inspiration vient, de la poésie,
des nouvelles, du théâtre et le roman. Peutêtre
qu’en tant qu’enseignante, j’ai du mal à
choisir car j’aime la littérature sous toutes ses
formes. J’ai publié des poèmes et des nouvelles
dans la revue Algérie Littérature Action,
ensuite un recueil de nouvelles intitulé
«Destinées», une pièce de théâtre «Le Cri des
Sebayates» et un roman «Nedjma et
Guillaume» aux éditions Marsa. Tous mes
principaux personnages sont des femmes algériennes,
toutes générations confondues avec
cette envie de les mettre en avant, de témoigner
de leur beauté, leur force, leur courage à
travers les siècles, à travers l’histoire douloureuse
de ce pays.
Vous faites des lectures de vos poèmes,
accompagnée du musicien Denis Chauvet,
guitariste, bassiste, auteur-compositeur.
Comment l’avez-vous rencontré ?
Denis et sa compagne ont quitté Paris pour
s’installer dans le Sud et c’est lors d’une de mes
lectures dans une librairie qu’il m’a proposé
d’improviser sur mes textes. J’ai aimé ses créations
et nous avons décidé de faire un CD : «
Algéries-Andalousies- Marseille ». Depuis,
nous faisons des récitals à l’occasion des
conférences ou des rencontres auxquelles je
participe. C’est un vrai bonheur d’être sur
scène avec lui car il me rassure lors de mes lectures
et nous nous complétons. J’adore le
contact avec le public, le regard des hommes et
des femmes qui assistent à nos lectures et leurs
réactions. Je sens que ce sont des moments
privilégiés de partage et de communion.
«Nedjma et Guillaume» est votre premier
roman, que pouvez-vous nous en dire ?
J’avais envie de rendre hommage à ces femmes
qui ont marqué l’histoire de notre pays.
J’ai donc fait un choix des noms des personnages.
Nedjma fait référence au grand maître
qu’était Kateb Yacine, et Djanina à la fille de
Messali Lhadj. Ces deux personnages évoluent
dans deux époques différentes, les années 1930
et 1990. J’ai choisi ces deux moments de l’histoire,
celle que l’on a tendance à oublier, les
années de combat du MTLD, avec à sa tête
Messali Lhadj que je considère comme l’un des
pères fondateurs de cette indépendance
confisquée. Quant aux années noires, elles
nous touchent car chacun d’entre nous a
perdu un être cher tombé sous les balles de
l’intolérance et de la barbarie.
Que pensez-vous de la littérature féminine
algérienne ?
J’aime la littérature algérienne en général et
je n’oublie pas celles qui nous ont ouvert les
portes de l’écriture, deux grandes dames, Assia
Djebbar et Fadéla M’rabet. Je ne peux concevoir
l’écriture sans un engagement et les
auteurs algériens foisonnent comme pour
montrer que nous avons besoin de dire, d’accoucher
de cette violence, de ces horreurs que
notre peuple continue de vivre, comme l’absence
de projets dans une société qui ne cesse
d’enfanter des jeunes filles et garçons en mal
de vivre et poussés à devenir des harraga ou à
se suicider.
Votre poème «Sidi Bouzid», en hommage à la
révolution de Tunisie, prouve que l’inspiration
est toujours présente. Quels sont vos
futurs projets ?
Poétesse, je suis née d’une mère poétesse
qui improvisait en kabyle. J’accouche des mots
au gré du temps et de mes états d’âme. Je ne
pouvais que rendre hommage aux Tunisiens
qui ont ouvert une grande porte vers une longue
marche pour la liberté dans tous les pays
victimes de l’oppression. J’écris de la poésie,
des nouvelles et j’essaie de mener à bien l’écriture
d’un deuxième roman dont le personnage
est un grand homme qui fait partie de l’histoire
algérienne. Je n’en dirai pas plus !
D. G.