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14 juin 2019 5 14 /06 /juin /2019 19:52
Roman d’un brigadiste algérien

Il y a pourtant un premier et seul roman (à notre connaissance) consacré à un brigadiste algérien, écrit par Rénia Aouadène en 2015 : Un maure dans la Sierra. Cette écrivaine est originaire d’Aokas et a grandi dans la banlieue marseillaise. Elle a fait des études de Littérature et civilisations hispano-américaines et en sciences de l’éducation à l’université d’Aix-en-Provence. Ensuite elle part pour Cordoue et Grenade comme assistante de français où elle se passionne pour l’Espagne arabo-berbère-musulmane.

La romancière s’est inspirée de la vie de Rabah Oussidhoum né à Darna dans un village de Kabylie. Ayant eu connaissance de son histoire, Rénia Aoudène décide de tenter un roman inspiré de cette histoire méconnue, estimant n’avoir pas assez de matière pour une étude strictement historique. Elle constate : « J’étais surprise que cette histoire ne soit pas connue en Algérie. On la découvre en ce moment. En Kabylie, on m’a parlé d’un anarchiste algérien, qui a combattu en Espagne. Les langues se délient à peine. Pour certains, mon livre a servi de catharsis pour en parler. De plus, il faut savoir que la plupart des engagés maghrébins pendant la guerre d’Espagne sont rentrés en France. Seuls 10 à 15 % d’entre eux sont morts sur le champ de bataille. Ils sont retournés en tant qu’immigrés et n’en ont pas parlé. Il existe potentiellement énormément de témoignages à découvrir sur ce pan d’histoire ».

Rabah Oussidhoum est un des premiers à intégrer les Brigades ; c’est un soldat remarqué puisqu’il a déjà servi dans l’armée. En Espagne, il combattit sur différents fronts et capitaine, il co-dirigea le 12e bataillon. Il déclara  que « toute la presse parle des volontaires marocains dans les rangs des rebelles franquistes : moi, personnellement je suis venu combattre avec les Brigades internationales, démontrant ainsi que tous les Arabes ne sont pas fascistes ». Après sa mort en 1938 sur le front d’Aragon, une compagnie porta son nom.

La romancière rappelle les étapes de sa vie : son enfance et sa jeunesse en Kabylie, son exil à l’intérieur du pays pour venir en aide à sa famille, son engagement dans l’armée : « il a décidé de s’engager dans une harka afin d’obtenir la citoyenneté française et fuir ce pays pour aller en France ». Il entre à l’école des sous-officiers. Libéré de l’armée, il réalise son rêve d’émigrer en France. Observateur, il prend son temps pour apprécier la vie ouvrière et finit par adhérer au Parti Communiste. Cette adhésion a son aboutissement provisoire dans les brigades internationales. Auparavant, il retourne dans son village pour voir sa mère et rejoint l’Espagne par Oran pour arriver à Alicante, sur le Jaime II. Avec ses camarades, il se retrouve dans le sud de l’Espagne, formé par des instructeurs soviétiques. Ayant une bonne formation militaire antérieure, Rabah Oussidhoum devient responsable au sein d’un bataillon. Il part dans la région de Cordoue, où il participe à la bataille de Lopera. Il se rend ensuite à celle de Ségovie, où il prend le commandement du 12e bataillon ‘Ralph Fox’, du nom d’un écrivain anglais qui était mort à Lopera. Interviewé sur sa présence pour les brigades internationales, il répond : « Tous les journaux parlaient des Moros qui luttent avec les rebelles de Franco. Je suis venu me battre avec les travailleurs contre la canaille fasciste ». Sur le plateau de Miraflores, au bord de la rivière Guadalope, il se retrouve face aux soldats moros de Franco : « En ce 25 mars 1938, au milieu du brouhaha causé par les bombes, les tirs des mitrailleuses, les grenades lancées par l’ennemi, Rabah armé de son fusil tire dans tous les sens. Il sait qu’il n’y a pas de temps à perdre car les franquistes, remontés à bloc par les batailles gagnées, sont prêts à tout pour en découdre avec ce bataillon.
Un tir atteint la poitrine de Rabah qui s’écroule à terre, se vidant de son sang. (…)
Rabah ignore que les politiciens qui gouvernent ne sauront jamais que des afro-arabo-musulmans ou chrétiens se sont battus. Ils deviendront des soldats de l’ombre car l’histoire ne retiendra que ce qui l’arrangera ».

L’intérêt de ce roman dans sa mise en relief de ce destin singulier est de nourrir les informations recueillies d’inventions au plus près de ce que l’écrivaine connaît ou recherche sur la Kabylie, l’Algérie coloniale, l’émigration en France et l’Espagne. Elle invente aussi le personnage d’Amalia, en rupture avec les traditions et donc avec sa famille et introduit une histoire d’amour et de passion, nécessairement éphémère en ces temps de guerre. La construction du roman ne rend pas arbitraire l’invention de la possibilité de ce couple car elle a alterné ce que l’on pourrait nommer le récit algérien (sur Rabah) et le récit espagnol (sur Amalia). Quand la jonction se fait sur le front, elle s’impose avec un certain naturel.

Tout au long des deux récits, les informations sur les sociétés et leur histoire sont données avec, sans doute, une présence un peu trop marquée de la voix de la narration qui laisse peu de liberté d’interprétation au lecteur. Mais ce roman est un roman de conviction et on n’est pas étonné qu’il soit, en même temps, un hymne à la civilisation berbère et à ses composantes : les êtres qui la font vivre et qui ont une mémoire historique profonde de ses capacités de résistance, ses manifestations culturelles, son attachement à la terre et à ses paysages. Il est aussi un hommage à une certaine Espagne : celle d’êtres libres qui, comme Amalia, inventent leur vie sans renier les valeurs essentielles de l’humanité.

En ouverture, un extrait d’un poème de 1961, écrit par Bachir Hadj Ali, poète algérien de renom, montre que le protagoniste choisi habite déjà la parole poétique algérienne :

« (…) Alfarez des Brigades, Rabah Oussidhoum, rêvait
Comme on va à la fontaine pour n’avoir jamais de rides
Son cœur a éclaté sur le cœur de Madrid (…)
Il y a vingt cinq ans, comme une grenade mûre.
Un cheval hurle la mort dans la gorge percée de Lorca
Épouses noires de Guernica vos enfants ont grandi
Nous sommes entourés d’orphelins. Épouses noires de Guernica (…) »

Si le cinéma s’emparait de ce personnage, sans doute pourrait-il lui donner le relief du brigadiste américain de Pour qui sonne le glas d’Hemingway. Peut-on dire que Robert Jordan doit autant à Gary Cooper qu’à Hemingway ? Le choix du romancier américain s’est porté sur un jeune internationaliste, professeur d’espagnol qui s’est engagé au sein des brigades internationales. Un documentaire serait en préparation de l’autre côté de la Méditerranée sur « ces Algériens qui ont fait la guerre d’Espagne », à partir des recherches d’Andreu Rosés, avec Marc Almodovar à la réalisation. Une équipe de tournage a  séjourné dans la wilaya de Béjaïa à la recherche des descendants de ces héros oubliés.

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